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  Novembre 2020 PLANIFICATION FISCALE FINANCE ET INVESTISSEMENT | 13 Vente d’un bloc d’affaires : considérations fiscales
   Pour réduire sa note fiscale, un conseiller peut incorporer son entreprise avant de la vendre.
DANY PROVOST*
fiscalité
les conseillers œuvrant
dans le secteur des services fi- nanciers, à l’aube de la retraite, font souvent face à un défi en matière de relève. S’ils n’ont pas de « poulain » dans leur giron, ils doivent vendre leur entreprise à des tiers qu’ils ne connaissent pas nécessairement. Dans ce cas, une situation se présente fréquemment. Le vendeur veut vendre ses actions et l’acheteur veut acheter les actifs.
Avant d’aller plus loin, rappe- lons qu’il existe quelques situa- tions différentes selon le statut du vendeur. En effet, un employé à commission, par exemple, qui serait propriétaire de sa clientèle, n’aurait pas le même traitement fiscal qu’un travailleur auto- nome. De plus, il pourrait même voir son gain traité différemment par Québec et par le fédéral. En effet, selon le Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), le gain sur la vente de sa clientèle serait traité comme un gain en ca- pital par Québec, mais comme un revenu d’emploi par le fédéral.
Pour le reste du texte, je m’at- tarderai à la situation d’un travail- leur autonome qui vend son bloc d’affaires, dont il est propriétaire.
D’abord, il n’y a pas de miracle. Si le vendeur veut bénéficier de son exonération de gain en capital et que l’acheteur désire les actifs avec une pleine base fiscale – pour un amortissement maximal –, ils ne pourront être satisfaits à 100% tous les deux.
VENDEUR N’AYANT PAS INCORPORÉ SON ENTREPRISE
Regardons le cas d’un conseiller qui n’a pas incorporé son entre- prise. La vente d’un bloc d’affaires (clientèle) est considérée comme de l’achalandage du point de vue fiscal. Depuis 2017, l’achalandage est traité comme n’importe quel bien amortissable – par exemple, un immeuble à revenus – du point de vue fiscal : récupération d’amortissement (si de l’amortis- sement a été pris) et gain en capi- tal pour le reste.
Avant 2017, l’achalandage était ce qu’on appelle une immobilisation admissible dont la disposition entraînait les mêmes taux d’inclusion qu’une récupération d’amortissement et qu’un gain en capital (100% et 50 %, respectivement), mais sous forme de revenu d’entreprise. Pour un travailleur autonome, il n’y avait donc pas de différence
fondamentale avec le traite- ment d’un immeuble à revenus, mais pour une société, la diffé- rence entre un revenu de biens et un revenu d’entreprise est plus importante.
Dans bon nombre de cas, l’acheteur de la clientèle d’un conseiller travailleur autonome est très heureux – notamment parce qu’il pourra prendre de l’amortissement sur l’achalan- dage et parce qu’il n’achète aucun historique –, mais le vendeur paie un maximum d’impôt.
Heureusement, il existe un moyen facile de réduire la note fiscale. Le vendeur peut simple- ment incorporer son entreprise avant de la vendre. Bien sûr, il faut prendre en considération toutes sortes d’éléments, notamment la contrainte de la rémunération en épargne collective dont l’acheteur doit tenir compte après coup.
Il a alors deux options: ou bien il crée une nouvelle société, ou bien il utilise une société exis- tante. Cette dernière peut en être une dont il est déjà actionnaire ou il peut s’agir d’une autre société dont l’acheteur, par exemple, est actionnaire.
Peu importe l’option choisie, l’important est que cette société n’ait pas d’actifs « contaminants », c’est-à-dire qu’elle respecte les règles des actions admissibles de petites entreprises (AAPE).
Or, l’une de ces règles fait état d’une période de 24 mois pour la détention des actions. Certaines personnes pensent qu’on doit donc attendre 24 mois après une incorporation afin de pouvoir bénéficier de l’exonération de gain en capital. C’est faux.
En fait, ce que l’article 110.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.) indique à propos d’une action admissible de petite entre- prise est ceci : « ... tout au long de la période de 24 mois qui précède le moment donné, [l’action] n’est la propriété de nul autre que le parti- culier ou une personne ou société de personnes qui lui est liée ».
Une action nouvellement émise peut donc répondre à ce critère.
En effet, malgré l’alinéa 110.6(14)f) L.I.R. qui répute qu’une nouvelle action émise ait été la propriété d’une personne non liée à l’actionnaire avant son émis- sion, la division 110.6(14)(f)(ii)(A) L.I.R. fait une exception à cette présomption dans le cas où une personne exploitant une entre- prise a disposé, en faveur de la société, de la totalité ou presque – 90% de la valeur selon la jurisprudence courante – des élé- ments d’actifs utilisés dans cette entreprise.
Par conséquent, les actions d’un conseiller qui transfère son bloc d’affaires en entier à une société nouvellement créée res- pectent le critère de 24 mois. Cela signifie cependant qu’un transfert d’entreprise partiel nécessiterait donc réellement une attente de 24 mois.
Une fois la société choisie, l’en- treprise sera simplement «roulée» à la société, en vertu de l’article 85 L.I.R. Pour effectuer ce rou- lement, le vendeur choisira une somme convenue pour ne pas déclencher d’impôt, possiblement 1$, et recevra des actions de la société en contrepartie. Ces
actions auront un prix de base rajusté (PBR) égal à la somme convenue.
Par la suite, l’acheteur achète- ra ces actions du vendeur à leur juste valeur marchande (JVM). Le vendeur réalisera ainsi un gain en capital et, dans la mesure où son exonération cumulative des gains en capital est inférieure à la limite de l’année de la transaction, il pourra bénéficier d’une déduc- tion pour gains en capital (DGC), lui faisant ainsi économiser possi- blement beaucoup d’impôt.
De plus, le vendeur pourrait opter pour une vente hybride, dont il est brièvement question ci-dessous.
VENDEUR AYANT INCORPORÉ SON ENTREPRISE
Dans cette situation, on doit également faire un choix entre les actions et les actifs. Les consé- quences sont les mêmes que celles que nous venons de voir, à la dif- férence que c’est une société par actions qui vendrait les actifs et qui serait imposée sur le gain en capital et possiblement la récu- pération d’amortissement, ce qui pourrait notamment générer un compte de dividendes en capital (CDC) et de l’impôt en main rem- boursable au titre de dividendes (IMRTD).
Il existe toutefois une façon de faire qui combine à la fois une vente d’actifs et d’actions. On qua- lifie ce genre de vente d’« hybride ». Je n’entrerai pas dans le détail de ces types de transactions, mais sachez qu’elles sont très délicates et qu’elles comportent plusieurs risques, particulièrement au chapitre des articles 84.1 L.I.R., des paragraphes 55(2) L.I.R. et 84(2) L.I.R. ainsi que de la Règle générale anti-évitement (article 245 L.I.R.).
Contrairement à ce qu’on pour- rait penser, une vente hybride n’est pas une vente en partie d’ac- tions et en partie d’actifs. C’est une vente d’actions, possiblement en partie, et une vente d’actifs en totalité.
Essentiellement, une vente hybride permet donc de vendre le nombre d’actions nécessaires pour que le vendeur puisse profi- ter pleinement de son exonération de gain en capital, tout en faisant en sorte que l’acheteur acquière tous les actifs avec une pleine base fiscale lui permettant de les amortir dans le futur. La société vendeuse, quant à elle, se retrouve avec les impacts fiscaux que l’on vient de voir sur la vente des actifs.
PERTE FISCALE DE L’ACHETEUR DES ACTIONS
Les opérations que nous avons vues précédemment nous as- surent que le vendeur aura droit à l’exonération de gain en capital. Cependant, bien que l’acheteur n’achète aucun historique d’en- treprise si la société vendeuse est nouvellement créée, il voit pos- siblement la valeur de son achat être réduite en raison d’impacts fiscaux théoriques.
Premièrement, la différence entre la JVM des actifs et leur PBR (et même leur fraction non amor- tie du coût en capital [FNACC] dans le cas où le vendeur aurait lui-même acheté et amorti un bloc d’affaires) renferme de l’im-
pôt « latent » qui pourrait être considéré par l’acheteur dans sa négociation. S’il s’agissait d’actifs non amortissables, il serait pos- sible de l’éliminer complètement. Malheureusement, pour un bloc d’affaires (achalandage), ce n’est pas possible.
Deuxièmement, l’acheteur ne pourra pas, dans les années fu- tures, prendre autant d’amortisse- ment que s’il avait acheté les actifs directement.
En fait, cet impôt latent et cette perte d’amortissement sont intimement liés et dé- pendent de ce que l’acheteur fera au moment où il revendra son bloc d’affaires.
Pour estimer l’impôt latent, plusieurs acheteurs ne font que calculer le revenu imposable dé- clenché par la vente de l’actif (gain en capital imposable et possible- ment récupération d’amortisse- ment) et le multiplier par leur taux d’imposition.
Pour évaluer la valeur présente (VP) de l’amortissement futur, les comptables et les fiscalistes uti- lisent la formule suivante:
Si on veut calculer une perte d’amortissement, on n’a qu’à rem- placer la FNACC par la différence de FNACC entre deux situations.
Or, nous verrons que, tant au niveau de l’impôt latent qu’au niveau de la perte d’amortisse- ment, la perte fiscale de l’acheteur peut être exagérée.
UN EXEMPLE CHIFFRÉ
Prenons un exemple qui reflète ma vision des choses, même si je ne prétends pas qu’elle soit la seule valable.
Disons que Paul n’a jamais acheté de bloc d’affaires (il est parti de zéro) et que sa clien- tèle, qu’il a incorporée, vaut 1M$ aujourd’hui. Il aimerait bien vendre ses actions pour profiter de son exonération de gain en capital. Son achalandage a donc une JVM de 1M$ et un PBR nul, pour les fins de l’exemple. Il a donc un gain en capital latent de 1M$, soit 500000 $ imposables.
Jean, un acheteur potentiel ayant déjà incorporé son entre- prise, se présente et lui fait une offre d’achat de 756000 $ à cause de ses pertes fiscales. Ce montant résulte d’un calcul qu’il explique à Paul, un peu surpris.
D’abord, il estime que l’impôt latent est de 97500 $, soit le gain en capital imposable de 500 000 $ multiplié par le taux d’impôt de 19,5 %, le taux applicable sur les revenus de biens après rembour- sement de l’IMRTD.
À ce montant, il ajoute la perte d’amortissement qu’il estime subir au cours des prochaines années. Il applique donc la for- mule que son comptable lui a sug- gérée et il arrive à un montant de 146429$.
Pour arriver à ce montant, il a utilisé, dans la formule, les éléments suivants: FNACC = 1M$,
A=5%,B=20,5%etC=2%.
Son offre d’achat est donc le résultat de la JVM de 1M$ à laquelle il soustrait 244 000 $
(97500 + 146500).
Paul a compris l’offre de Jean.
Mais Paul, qui se débrouille très bien avec les chiffres, lui explique que la perte fiscale qu’il a calculée est largement exagérée, et ce, pour trois raisons:
Premièrement, on ne doit pas additionner l’impôt latent et la perte d’amortissement. Ces élé- ments sont étroitement liés, mais les additionner est une erreur de logique. Deuxièmement, on ne tient pas compte du temps dans les équations. Troisièmement, la formule des comptables est incomplète.
Regardons plus en détail ces trois raisons.
1. L’impôt latent ne doit pas s’ajouter aux pertes d’amortisse- ment potentielles. Si, dans plu- sieurs années, Jean vendait ses ac- tions, il ne subirait une perte fiscale qu’au niveau de l’amortissement perdu. Il n’actualiserait jamais son impôt latent initial de 97500 $.
À l’opposé, si, dans plusieurs années, au lieu de vendre ses ac- tions, Jean revendait sa clientèle sous forme d’actif, il actualiserait l’impôt latent qu’il avait calculé initialement. Cependant, l’amor- tissement auquel il aurait renon- cé pendant ces années ne serait qu’une perte théorique.
Le montant de cette perte est calculé à partir d’une situation fictive où il aurait acheté et amorti l’actif. Mais, dans cette situation, il n’aurait jamais payé d’impôt sur le gain en capital latent initial. Le montant de la perte sur l’amor- tissement doit donc simplement être comparé à l’impôt qu’il paie en vendant. Dans ce cas, la perte réelle est l’une des deux, et non l’addition de celles-ci.
La perte fiscale de Jean, selon ce qui arrivera, est donc soit de 97500$ ou de 146500$ à cette étape, pas la somme des deux.
L’offre d’achat à Paul monte ainsi à un minimum de 854000 $. 2. On ne tient pas compte du
temps dans l’évaluation des pertes. D’emblée, on peut dire que la formule des comptables tient compte en partie du temps, mais il manque un morceau.
Jean a calculé que son impôt latent valait 97500 $. Mais il a ou- blié de considérer qu’il paiera cet impôt latent (si jamais il le paie) au moment où il revendra lui-même son bloc d’affaires. S’il est réaliste de dire qu’il vendra dans 25 ans, on devrait diviser ce montant par (1+i)25.
Le taux d’actualisation, i, peut faire l’objet de discussions, mais il ne peut être inférieur au taux d’inflation prévu et supérieur au rendement net prévu dans le por- tefeuille d’investissement. En uti- lisant un taux d’inflation de 2%, qui donne une valeur maximale, on se rend compte que l’impôt latent de Jean est réduit à un maxi- mum de 59429$. On pourrait in- tégrer toutes sortes de probabilités (décès, invalidité, retrait des af- faires...) pour affiner ce montant, mais on a une meilleure idée de la valeur réelle de l’impôt latent.
Pour ce qui est de la formule
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   VP = FNACC X A X B / (A + C) où:
FNACC = fraction non amortie du coût en capital
A = taux d’amortissement annuel
B = taux d’imposition de l’acheteur
C = taux d’actualisation





























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