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Composer avec les zigzags de la retraite
PLANIFICATION
MI-NOVEMBRE 2020 PAGES 10-14
DE LA
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RETRAITE
Décaissements viables et rentes viagères sont des stratégies pertinentes.
PAR DANIEL LAVERDIÈRE*
la trajectoire de la projection
de retraite d’un client n’est jamais une ligne droite. Comme plusieurs variables restent inconnues, on doit parfois faire de petits ajustements occasionnels, parfois réviser tout le plan financier. Une révision complète s’impose lorsque des événe- ments surviennent, par exemple lorsque le client vend sa maison pour devenir loca- taire d’une résidence pour personnes âgées ou change ses habitudes de vie à la suite d’une nouvelle situation familiale ou d’un gain à la loterie.
Pour composer avec une retraite qui évolue en zigzag, il importe donc de suivre un processus rigoureux afin d’atteindre les objectifs du client. Voici quelques règles d’or de ce processus.
CIBLER LES RETRAITS VIABLES
D’abord, un client devrait s’en tenir à une cadence de retraits viable provenant de ses actifs financiers. On entend souvent que la cadence soutenable est de l’ordre de 4%. Or, cette règle générale reste approximative et ignore plusieurs variables. Elle a tout de même le mérite de corriger rapidement les attentes d’un jeune retraité de 50 ans qui souhaite décaisser 8% par année.
Maintenant, prenons le cas où un planifi- cateur financier veut déterminer la capacité d’un client à maintenir une cadence de re- traits de sommes contenues dans son REER, lesquelles sont indexées annuellement à 2%, et ce, jusqu’à 95 ans.
Pour définir plus précisément la cadence viable, on doit considérer d’autres facteurs comme le rendement attendu sur les actifs financiers, les frais et l’âge du client.
D’abord, pour avoir un revenu indexé, la ca- dence doit augmenter avec l’âge, comme c’est le cas des retraits minimums d’un FERR.
Le graphique 1 illustre différents scéna- rios de cadences soutenables de retraits, en fonction de l’âge du client. Les différentes courbes illustrent divers scénarios de rende- ments bruts espérés du portefeuille du client. Cependant, les calculs considèrent des frais de gestion de 1%. Par exemple, pour la courbe du scénario de rendement brut de 2,5%, telle que désignée dans la légende, nous avons réalisé les calculs avec un rende- ment de 1,5%.
On constate que plus le rendement espéré est élevé, plus la cadence soutenable l’est aussi. Par ailleurs, la règle générale des 4% convient rarement aux retraités de 65 ans et moins, mais peut être insuffisante après 70 ans. On remarque aussi que le barème des retraits minimums du FERR (courbe rouge) imposé par les autorités fiscales est souvent trop élevé avant l’âge de 80 ans, si bien qu’il peut être pertinent que le client en épargne une partie.
Par ailleurs, ce graphique montre divers scénarios de rendements annuels constants, mais pour atteindre 4,50 % de rendement brut, on sait que le client devra avoir une composante en actions dans son porte-
feuille, laquelle ajoute de la volatilité à celui-ci.
Certes, cette volatilité a une influence sur sa cadence de retrait viable et c’est là qu’un planificateur financier peut utiliser divers outils de planification pour simuler diverses hypothèses. Par exemple, il peut ajouter une marge de sécurité en simulant l’effet d’une baisse du rendement annuel sur le porte- feuille de 100 points de base. Rappelons que, dans les Normes de l’Institut québécois de planification financière(IQPF), le rende- ment des titres de croissance comme les ac- tions est déjà réduit de 50 points de base.
Il faut se méfier d’ouvrir le robinet de dé- penses quand la Bourse s’envole et faire l’in- verse quand celle-ci chute radicalement. Le coût de vie maximal devrait aller en léger zigzag, mais converger vers une tendance lourde. Les révisions permettent de tracer cette tendance. Par exemple, l’année suivant une baisse des marchés, le retraité pourrait jouer sur ce qu’il a de plus sous son contrôle, ses dépenses, en limitant celles qui sont «compressibles».
Évidemment, des situations de vie causent parfois des changements majeurs dans les plans. Les ruptures familiales sont générale- ment financièrement douloureuses, mais les unions permettent souvent des économies d’échelle. La maladie peut réduire nos dé- penses de loisir, mais augmenter celles re- liées aux soins de santé.
INUTILE DE VOULOIR DEVINER LE MARCHÉ
En matière de gestion des investisse- ments, certains tentent de synchroniser les marchés en en sortant à la suite d’un haut et en les réintégrant après un creux. C’est facile à dire... mais plus compliqué à viser juste deux fois: soit à l’entrée et à la sortie. Les mar- chés sont imprévisibles, les zigzags semblent aléatoires, mais la tendance haussière des marchés demeure la planche de salut, comme le montre le graphique 2.
Un investisseur ne devrait pas attendre le moment propice pour entrer dans le mar- ché, mais plutôt investir immédiatement, en fonction de sa tolérance au risque. Les nou- velles épargnes devraient être investies au fur et à mesure qu’elles se réalisent. Pour le décaissement, c’est la même logique, il est hasardeux de chercher les points où les re- traits sont les plus favorables.
Une étude de Dalbar QAIB (Quantitative Analysis of Investor Behavior) montre que les investisseurs connaissent peu de succès à ce jeu du market timing. De 1999 à 2018, le rende- ment moyen de l’indice S&P 500 a été de 5,62%, mais le rendement moyen des inves- tisseurs en actions a été seulement de 3,88%.
Le graphique 2 est éloquent. Il présente le rendement total des actions canadiennes, l’indice S&P TSX TR, depuis août 1987, soit tout juste avant le krach d’octobre 1987. On voit d’abord que le marché a été volatil, mais généralement haussier. Le rendement an- nuel linéaire en vert a été de 7,03% jusqu’en octobre 2020 (inflation d’environ 2,1% pour cette même période). Les zones grises in- diquent les endroits où le rendement réalisé du marché excédait le rendement linéaire en vert, soit théoriquement des bons «timing» pour décaisser.
Pour un retraité, une séquence de rende- ment à l’image de la période allant de 1987 à 1997 est une mauvaise nouvelle et risque de
nuire à sa capacité de dépense. Toutefois, un planificateur financier prudent ayant sous- trait 100 points de base à son rendement an- nuel aura géré ce risque en bonne partie. At- tendre pour décaisser que les rendements de l’indice soient supérieurs à ceux de la ten- dance n’aurait pas été réaliste, car cette pé- riode aurait été de 10 ans.
Plutôt que d’essayer de deviner le mar- ché, il est plus pertinent de présumer une hypothèse de rendement réduit de 100 points de base (pb) afin d’établir une base de retrait. Cette baisse combinée à la marge de 50 pb déjà soustraite des normes de l’IQPF et FP Canada permet en soi de re- fléter le potentiel de chutes.
En effet, un rendement annuel inférieur de 150 pb pendant 10 ans revient à simuler des chutes permanentes de 14% aux 10 ans. Une projection selon une méthode stochas- tique est aussi une approche permettant de déterminer le niveau de dépenses viables sur la base de probabilités de réussite.
OUBLIER LA RÉSERVE DE LIQUIDITÉ
Pour sécuriser les retraits à la retraite, cer- tains proposent de constituer une réserve de liquidité correspondant à 60 mois de dé- penses. Composée de titres à revenu fixe, cette réserve devient un panier d’où l’on dé- caissera pour financer la retraite. On appelle cette stratégie le « bucketing ». Le reste du portefeuille servant à constituer le bassin pour les dépenses à plus long terme peut alors comporter un volet « croissance », le- quel est plus volatil.
On devine rapidement qu’après 12 mois, le « bucket sécuritaire » est réduit. Il faut donc penser à le rebâtir en attendant le bon mo- ment pour liquider une partie du volet à long terme. Le bon moment pour liquider des titres de croissance est-il après 12, 18, 24 ou même 36 mois? Pas facile de répondre, et tenter de déterminer le meilleur moment où renflouer cette réserve de liquidité revient donc à... es- sayer de deviner le marché, qui évolue en zig- zag. Beaucoup se donnent des règles pour prendre ces décisions, mais aucun algorithme décisionnel ne semble avoir démontré un taux de succès qui permet de croire que cette stratégie protège vraiment.
Un animateur américain populaire, Ray Lucia, a écrit un ouvrage qui prônait les ver- tus de cette technique. En 2012, tout s’écrou- la quand il fut démontré que ses analyses ne reposaient sur aucune donnée probante. La Securities and Exchange Commission l’ac- cusa de «misleading information».
Le professeur de finance de l’Université York, de Toronto, Moshe Milevsky, juge quant à lui que cette réserve crée «une illu- sion optique dans le meilleur des cas et, dans le pire, un potentiel de grande déception». De plus, l’étude «The Bucket Approach for Retirement : A Suboptimal Behavioral Trick ? » réalisée en 2019 concluait que les retraités avaient plus de possibilités d’obte- nir de meilleurs résultats en ayant un porte- feuille avec une allocation d’actif appropriée et qui est rééquilibré périodiquement.
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Cadence de retrait soutenable
Graphique 1
10,0 % 9,5% 9,0% 8,5 % 8,0 % 7,5% 7,0% 6,5 % 6,0 % 5,5% 5,0 % 4,5 % 4,0% 3,5% 3,0 % 2,5 % 2,0 % 1,5 %
SOURCE : DANIEL LAVERDIÈRE, BANQUE NATIONALE GESTION PRIVÉE 1859 Âge du client GRAPHIQUE : FINANCE ET INVESTISSEMENT
Cadence des retraits indexés à 2 %
50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 82 84 86 88 90 92 94
2,5 % 3,5% 4,5 % FERR
Évolution de l’indice S&P/TSX TR en fonction du temps
40 000 $
4 000 $
SOURCE: DANIEL LAVERDIÈRE, BANQUE NATIONALE GESTION PRIVÉE 1859 GRAPHIQUE : FINANCE ET INVESTISSEMENT
Graphique 2
Timing
S&P/TSX TR
Rendement linéaire 7,03 %
01/08/1987 01/08/1989 01/08/1991 01/08/1993 01/08/1995 01/08/1997 01/08/1999 01/08/2001 01/08/2003 01/08/2005 01/08/2007 01/08/2009 01/08/2011 01/08/2013 01/08/2015 01/08/2017 01/08/2019