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De plus en plus difficile de battre les indices
ÉCONOMIE ET
MARS
2020 | PAGE 17
RECHERCHE
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Les gestionnaires de certains types d’actifs sont devenus meilleurs dans leur ensemble. C’est ce qu’on appelle
le « paradoxe de l’expertise ».
PAR JEAN-FRANÇOIS BARBE
dans certains secteurs
boursiers, il est devenu rare de battre les indices année après année et sur de longues périodes. La quête de l’alpha devient-elle illusoire?
Aucun frappeur de baseball des ligues majeures n’a atteint une moyenne au bâton d’au moins ,400 depuis Ted Williams... en 1941! Or, les joueurs de baseball d’aujourd’hui ne sont pas moins bons que leurs prédécesseurs. Ils seraient simplement devenus meil- leurs dans leur ensemble, l’écart des habiletés entre les meilleurs et les moins bons s’étant rétréci.
Le même phénomène se serait produit en investissement dans l’univers des marchés considérés comme plus efficients, particuliè- rement le secteur de la gestion ac- tive d’actions américaines. Si les gestionnaires de fonds d’actions américaines sont peu nombreux à battre régulièrement leurs in- dices, c’est parce que leur degré de compétence et le soutien techno- logique ont monté en flèche, et que les moins bons ont quitté la table sous la pression des straté- gies indicielles et de la baisse des frais de gestion.
Tel est le « paradoxe de l’exper- tise » énoncé par Michael Mauboussin il y a quelques années. Son point de vue continue à être débattu dans les médias financiers, notamment chez Morningstar.
« AU FOND, IL A RAISON »
Auteur et praticien des marchés financiers, Jacques Lussier donne raison à son collègue américain.
« Au fond, Michael Mauboussin a raison. La qualité de l’expertise des gestionnaires d’actions tend à augmenter et il devient de plus en plus difficile de dire qui battra les
indices sur de longues périodes », dit Jacques Lussier.
« De plus, l’intelligence artifi- cielle accélérera ce phénomène. La machine apprend désormais d’elle-même ! Le défi d’identifier les gestionnaires de fonds qui battront leurs indices devient gigantesque, surtout dans des secteurs comme celui des actions américaines », ajoute le cofondateur de la dé- funte Ipsol Capital et ancien stra- tège en chef de Desjardins Gestion internationale d’actifs.
Jacques Lussier a reçu en 2018 le prestigieux prix Outstanding Contribution to CFA Institute Education Programs. Il est l’auteur de Successful Investing Is a Process: Structuring Efficient Portfolios for Outperformance, de Secure Retirement: Connecting Financial Theory and Human Behavior, et coauteur de Rational Investing: The Subtleties of Asset Management.
Il signale que les perfor- mances des gestionnaires d’ac- tifs varient en fonction des do- maines couverts. « Environ la moitié des gestionnaires d’obli-
gations globales battent leurs in- dices de référence sur une pé- riode de 10 ans. En revanche, il est rare que plus de 20% des ges- tionnaires d’actions, quel que
«Plutôt que de tenter de battre les indices, les gestionnaires d’ac- tifs pourraient éventuellement créer des portefeuilles adaptés aux besoins de clientèles spéci-
La qualité de l’expertise des gestionnaires d’actions tend à augmenter et il devient de plus en plus difficile de dire qui battra les indices sur de longues périodes.
— Jacques Lussier
fiques dans un contexte de plani- fication à long terme. Ces porte- feuilles pourraient, par exemple, être bâtis en vue de ré- sister aux brusques baisses de marchés pouvant survenir en cas de fortes corrections. Ou en- core, être bâtis en
soit le style, réussissent l’exploit. Chez les gestionnaires de fonds de sociétés à grande capitalisa- tion américaines, le résultat est de 12 % », précise-t-il.
NOUVEAU RÔLE
EN GESTION D’ACTIFS
En supposant que le phéno- mène du « paradoxe de l’exper- tise» s’étende aux divers domaines de la gestion d’actifs, ses spécia- listes auront toujours un rôle à jouer, affirme Jacques Lussier.
vue de générer énormément de revenu courant, tels des divi- dendes », dit Jacques Lussier.
Il ajoute qu’il est «plus plausible d’utiliser la gestion active ciblée pour améliorer, par exemple, la distribution des revenus anticipés à la retraite».
Toutefois, cet objectif nécessi- tera que les gestionnaires conjuguent leur savoir-faire en gestion de portefeuille avec une expertise en planification financière. FI
mation d’un client dont les rende- ments auraient été faibles au cours de l’année précédente. Et l’année d’après, on recommande- rait autre chose en raison de l’amélioration des rendements obtenus. Bref, la planification est un processus dynamique », dit-il.
Mais pour planifier de façon dynamique, ajoute-t-il, « il faut avoir développé des algorithmes qui évaluent continuellement la capacité du portefeuille à suppor- ter les retraits envisagés ».
Au cours de sa recherche, Jacques Lussier s’est également penché sur les outils informa- tiques de gestion de la retraite. Qu’ils s’adressent au grand public ou aux professionnels, ces outils ne sont pas encore à la hauteur des attentes, prévient-il.
«Un des grands problèmes, c’est qu’ils ne précisent pas leurs hypo- thèses. Par exemple, dans le cas de certains outils, on ne connaît pas toujours les hypothèses de rende- ments futurs ou encore le proces- sus de traitement fiscal des avoirs et des revenus. C’est encore pire quand il s’agit d’envisager l’espé- rance de vie d’un retraité. Lorsque j’analysais des situations types avec mon simulateur et que je les comparais avec les résultats de ces outils, les écarts de plus de 20% étaient monnaie courante », si- gnale l’auteur.
Fourmillant de pistes de réflexion, ce livre très substantiel de 274 pages peut être consulté gratuitement sur le site du CFA Institute (https://tinyurl.com/ tup2vpx). FI
Idées reçues sur la retraite
Les rentes peuvent être pertinentes, selon le professeur Jacques Lussier.
PAR JEAN-FRANÇOIS BARBE
à l’évidence, l’auteur et
professionnel du placement Jacques Lussier ne peut rester très longtemps sans partager le fruit de ses recherches en gestion d’ac- tifs. Publié par le CFA Institute, son dernier livre, Secure Retirement : Connecting Financial Theory and Human Behavior (2019), nous amène cette fois-ci sur le terrain touffu des relations entre la théorie financière et la planification de la retraite.
Au terme de ses dernières re- cherches, Jacques Lussier est sans équivoque: «En planification de la retraite, la recherche scientifique est particulièrement pauvre. L’in- dustrie affirme beaucoup de choses qui se présentent comme des vérités, mais qui ne sont abso- lument pas appuyées par la re- cherche», affirme-t-il.
Stratège en chef des investisse- ments chez Desjardins Gestion internationale d’actifs pendant 18 ans, Jacques Lussier s’était lancé dans l’aventure entrepre- neuriale en 2013 à titre de pré-
sident et chef des placements chez Ipsol Capital.
Dans un profil publié en pre- mière page en décembre 2017, Finance et Investissement se de- mandait comment cet
ancien professeur de
HEC Montréal trouvait
le temps et l’inspiration
pour rédiger ou corédi-
ger ses précédents livres, Successful Investing Is
a Process (2013) et
Rational Investing (2017).
« Je travaille sur des
choses qui m’intéressent
mais qui n’auront pas nécessairement d’im-
pact à court terme sur la
firme [Ipsol Capital], peut-être à long terme», disait-il alors.
Les lecteurs cibles de Secure Retirement – à savoir les conseillers, les fournisseurs de services en pla- nification financière et les investis- seurs avisés – pourraient, eux aussi, aborder ce livre dans une optique à long terme. Car on n’y trouvera pas un guide pratique de la planification de la retraite.
Ils pourraient toutefois, en y mettant le temps et l’énergie, éprouver le plaisir de confronter leurs points de vue et les soi- disant «vérités» de l’industrie aux résultats de la recherche et de la réflexion d’un auteur hautement coté par ses pairs.
Rappelons que Jacques Lussier a déjà reçu le prestigieux prix
Outstanding Contribution to CFA Institute Education Programs en raison de ses livres et documents de recherche, dont Portfolio Structuring and the Value of
Forecasting (en ligne), un des textes les plus consultés de l’histoire du CFA Institute.
Afin de vérifier la validité de certaines « vérités » de l’industrie sur la planification de la retraite, Jacques Lussier a bâti un engin de simu- lation. Affirmations et hypothèses étaient en- suite passées à la mouli- nette d’une foule de scé-
narios possibles.
IDÉES AU TORDEUR
Dans son livre, l’auteur aborde des idées reçues qui devraient être revisitées. Lesquelles?
« Les rentes et leur attractivité arrivent peut-être en tête de liste. Selon plusieurs, en situation de faibles taux d’intérêt, les rentes ne seraient plus intéressantes. Or, il vaut quand même la peine d’en acheter dans certaines situa- tions», signale Jacques Lussier.
Ainsi, les rentes pourraient prendre la place d’une certaine portion d’obligations détenues en portefeuille. « En détenant une portion de rentes dans leurs avoirs, les retraités pourraient prendre un peu plus de risques.
Les rentes permettraient alors de mitiger le risque le plus important à la retraite, qui est de générer suf- fisamment de revenus, particuliè- rement lors d’un choc financier », précise l’auteur de Secure Retirement.
Par exemple, a-t-il constaté, un investisseur consacrant 30 % de son portefeuille à des rentes et qui maintiendrait, à la retraite, une allocation de 60 % en actions se retrouverait « très généralement » en meilleure situation à long terme qu’un individu qui n’aurait pas de rentes, mais qui maintien- drait un portefeuille plus conser- vateur de 40% d’actions.
Jacques Lussier désigne une seconde idée reçue : le fait de croire qu’une stratégie, et une seule, suffirait pour protéger le retraité jusqu’à sa mort.
« En planification de la retraite, les stratégies doivent être vues de façon dynamique. On sait qu’entre 30 et 60 ans, il est impor- tant de réévaluer sa situation chaque année. C’est la même chose à la retraite, car l’état du portefeuille varie. Une planifica- tion continue permet de consta- ter si la stratégie suivie est soute- nable », déclare-t-il, tout en évo- quant la nécessité des révisions annuelles en fonction des rende- ments obtenus.
« Par exemple, on pourrait recommander une diminution de 3 % des dépenses de consom-
CFA INSTITUTE RESEARCH FOUNDATION / MONOGRAPH
SECURE RETIREMENT
Connecting Financial Theory and Human Behavior
JACQUES LUSSIER, CFA
MONOGRAPH / SECURE RETIREMENT LUSSIER