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  Mi-octobre 2020 FOCUS SUR LES CONSEILLERS FINANCE ET INVESTISSEMENT | 17 Des mesures de contrôle qui ne passent pas
   Comme celle de réduire la proportion de la rémunération variable des conseillers.
PAR ALIZÉE CALZA
« ne touchez pas à ma
rémunération qui varie en fonc- tion du chiffre d’affaires que je génère ! »
C’est l’un des messages qu’en- voient aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) les conseillers en placement et les conseillers liés à un cabinet multidisciplinaire sondés à l’oc- casion du Pointage des courtiers québécois 2020 et du Pointage des cabinets multidisciplinaires 2020.
Lors des deux sondages, les ré- pondants devaient donner leur avis sur quatre façons de gérer les conflits d’intérêts découlant des mécanismes de rémunéra- tion et des mesures incitatives internes des courtiers. Celles-ci proviennent de l’Instruction générale relative au Règlement 31-103 sur les obligations et dis- penses d’inscription et les obli- gations continues des personnes inscrites, des ACVM. Et elles pourraient peut-être orienter certaines actions des services de conformité de courtiers, car les nouvelles obligations touchant le traitement des conflits d’intérêts entreront en vigueur le 31 dé- cembre 2020.
Ainsi, la grande majorité des conseillers de plein exercice (91,4 %) et des courtiers multi- disciplinaires (82,4 %) sont défa- vorables à la première mesure de contrôle proposée, soit de réduire la proportion de la rémunération
liée au chiffre d’affaires qu’un conseiller génère. « Je trouve ça bien d’être récompensé à la hau- teur des efforts qu’on met», dit un conseiller de plein exercice qui exprime un avis répandu.
« Je les comprends, dit Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers. C’est grâce à la qua- lité des conseils que tu donnes que le client fait de l’argent et que son portefeuille grossit. Plus tu travailles, plus tu fais grossir son portefeuille, donc plus ça va, plus tu es payé. »
Quelques sondés sont toutefois favorables à cette proposition. « [Que la rémunération soit liée au chiffre d’affaires], ça favorise ceux qui sont plus gros, ceux qui ont une grosse clientèle, ce n’est pas en lien avec la qualité du ser- vice. Aussi, les conseillers de la relève n’auront pas les ressources pour réussir à grandir », com- mente un sondé lié à un cabinet multidisciplinaire.
« C’est sûr qu’un conseiller qui débute a des comptes plus petits et une plus faible rémunération, mais c’est logique », réagit Jean Morissette, consultant, ancien président de Services financiers Partenaires Cartier et ex-associé fondateur de Talvest.
Selon lui, il n’est pas logique de penser qu’un professionnel qui développe son chiffre d’affaires doive diminuer sa marge, d’au- tant plus que, souvent, ses frais fixes augmentent puisqu’il doit engager des adjoints ou d’autres professionnels pour servir ses clients.
OUI À UN BONUS LIÉ À LA CONFORMITÉ
Deux des propositions des ACVM lient la rémunération des conseillers au respect de la régle-
mentation. L’une de ces solutions propose qu’une partie de la rému- nération dépende de l’absence de plainte valide et du respect des exi- gences de conformité.
Les sondés adhèrent à cette solution. Les conseillers en pla- cement y sont favorables à 64,7%, mais les courtiers multidiscipli- naires semblent plus mitigés : 47,6% d’entre eux y sont favorables, et 25,2% se disent indécis.
«Je suis tout à fait d’accord, car les représentants ayant de meil- leures pratiques en conformité ont le même taux de rémunération que ceux qui ont de moins bonnes pra- tiques. Ces derniers engendrent des coûts pour la firme que les re- présentants ayant de meilleures pratiques doivent absorber, ce qui n’est pas équitable », indique un sondé. « On devrait souligner la bonne éthique par des bonus en fin d’année», ajoute un autre.
«C’est le cas chez nous», ob- servent même quelques conseil- lers de Gestion de patrimoine TD.
Toutefois, certains semblent opposés à cette mesure. « On est travailleurs autonomes, c’est déjà difficile de générer une paye, alors si on nous met des embûches, cela devient inacceptable. Quel em- ployé salarié a des restrictions sur sa paye selon les plaintes ? » pro- teste un répondant.
Gino-Sébastian Savard et Jean Morissette estiment que cette pro- position ne manque pas d’intérêt. Selon eux, la réglementation ne de- vrait pas être vue comme une cor- vée, mais comme un mode de vie.
« Quelqu’un qui ne respecte pas la conformité et qui n’applique pas les meilleures pratiques ne devrait pas être toléré dans l’industrie », commente Jean Morissette.
Toutefois, ils jugent impossible la mise en place de cette proposi- tion. « Honnêtement, ce sont des vœux pieux. Comment faire pour appliquer ça dans la vraie vie ? » questionne Jean Morissette.
« Ce n’est pas fou comme idée, parce que ça encourage les saines pratiques. Mais je vois difficilement comment on pour- rait mettre ça en place de façon pratico-pratique. Il faudrait changer tous nos contrats», dit Gino-Sébastian Savard.
L’autre mesure de contrôle que proposent les ACVM serait de re- porter une partie de la rémuné- ration du conseiller pour que le courtier s’assure que sa pratique est conforme. La majorité des répondants sont défavorables à cette mesure : 59,9 % des conseil- lers de plein exercice et 61,2% des conseillers liés à un cabinet multi- disciplinaire sont contre.
« Ça serait un peu enfantin », souligne l’un d’eux. «Je suis contre cette idée. Ça devient la respon- sabilité du courtier. La relation du courtier et de son agent doit être basée sur la confiance ! » dit un autre.
Les deux experts qu’a interrogés Finance et Investissement sont eux aussi contre cette idée. «Je ne vois pas la logique, c’est-à-dire quelle proportion et pour combien de temps? Souvent, un problème peut survenir des années plus tard », note Jean Morissette.
Gino-Sébastian Savard croit que cette proposition pourrait nuire à la relation entre un représentant
et son cabinet. Selon lui, cette me- sure ne sert à rien, car un cabinet qui n’aurait pas confiance en son représentant ne ferait simple- ment pas affaire avec lui. Il com- prend toutefois que les grandes firmes pancanadiennes, qui ne connaissent pas personnellement leurs employés, puissent y voir du positif.
VA POUR LA RÉMUNÉRATION UNIFORME
La dernière mesure proposée serait que la rémunération soit uniforme, peu importe le type de produit ou de service offert. Une proposition qui reçoit visiblement le soutien de bon nombre de ré- pondants, puisque 65,3 % des conseillers en placement et 44,3% des courtiers multidisciplinaires y sont favorables, et 24,6 % sont indécis.
Pour ce dernier point, on note nettement une différence entre les conseillers de plein exercice et les conseillers multidisciplinaires, peut-être parce qu’en assurance, la rémunération varie, entre autres, selon les produits, les volumes passés auprès d’un assureur et les volumes passés auprès d’un agent général.
Jean Morissette a sa propre ex- plication de cette différence: «Les conseillers de plein exercice, de manière générale, ont des clien- tèles plus importantes auxquelles appliquer une pratique de rému- nération à honoraires, plus appro- priée et plus facile. Tandis que les conseillers en épargne collective ont de plus petits comptes, où cette rémunération est moins fa- cile à établir et est peut-être moins payante.»
Bien que la majorité de l’indus- trie aille vers une pratique à hono- raires dans le secteur du courtage de plein exercice et que les hono-
raires soient en croissance dans le courtage en épargne collective, certains estiment que ce mode de rémunération n’a pas de sens. « Gérer un compte en liquidités versus gérer un portefeuille d’ac- tifs, ce n’est pas la même chose. Le deuxième est bien plus complexe, donc ça demande une meilleure rémunération », dit un répondant du secteur du courtage en épargne collective.
« Certains produits mé- ritent d’être mieux rémunérés que d’autres, car le travail et les connaissances nécessaires du pro- duit sont plus exigeants que pour d’autres produits», ajoute un autre conseiller du même secteur.
Toutefois, la plupart des son- dés jugent qu’une telle mesure serait bénéfique. « Ça m’aiderait à être moins tendu ! » affirme l’un d’eux.
PAS VRAIMENT NÉCESSAIRE
Les deux experts interrogés estiment toutefois qu’aucune de ces mesures des ACVM n’est réellement nécessaire. Pour Jean Morissette, la réponse pour régler les conflits d’intérêts est bien plus simple: divulguer systématique- ment la rémunération au client.
Gino-Sébastian Savard croit que beaucoup de nouveaux règlements ont permis de résoudre les éven- tuels conflits d’intérêts. Il pense qu’il faut maintenant se donner quelques années pour voir l’effet des normes mises en place.
«Je ne pense pas qu’il y ait un gros travail de fond à faire en ma- tière de conflits d’intérêts. Vivons avec la nouvelle réglementation pendant quelques années et on verra si on doit avoir de nouvelles normes, affirme-t-il. Si on met en place trop de règles, on ne saura plus ce qui marche et ce qui ne marche pas.» FI
 Oui à la carotte, non au bâton
Degré d’accord des conseillers avec les mesures de contrôle proposées par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) pour gérer les conflits d’intérêts découlant des mécanismes de rémunération des courtiers, selon le profil des conseillers.
Réduire la portion de votre rémunération liée au chiffre d’affaires
 que vous générez.
2,0%
        CM
91,4%
Lier une partie de votre rémunération variable à l’absence de plaintes valides ou au respect des exigences en conformité.
CP
CM
6,6%
 CP
                Reporter selon un délai raisonnable le paiement d’une partie de votre rémunération pour assurer au courtier que vos pratiques sont conformes.
     CP
   CM
82,4%
24,7%
27,3%
 Recevoir la même rémunération, peu importe le type de produit ou de service offert.
    CP
23,8%
10,7%
59,9%
61,2%
10,9%
25,2%
64,7%
11,6%
47,6%
20,6%
8,1%
28,6%
18,2
9,5
%
%
   CM
31,1%
24,6%
65,3%
44,3%
 CP : Conseillers en placement CM : Conseillers
multidisciplinaires
Défavorable/Tout à fait défavorable Ni favorable, ni défavorable Favorable/Tout à fait favorable
    SOURCE : POINTAGE DES COURTIERS QUÉBÉCOIS 2020, POINTAGE DES CABINETS MULTIDISCIPLINAIRES 2020 GRAPHIQUE : FINANCE ET INVESTISSEMENT
  Une partie des conseillers bientôt déçue ?
Même si la majorité des conseillers sont défavorables à la réduction d’une proportion de leur rémunération variable ou au report selon un délai raisonnable du paiement d’une partie de leur rémunération, ces mesures de contrôle des conflits d’intérêts sont bel et bien envisagées par certains courtiers.
En effet, en janvier et février, à l’occasion du Pointage des régulateurs, Finance et Investissement a demandé à
72 responsables de la conformité de déterminer, parmi six énoncés, les changements les plus susceptibles de survenir dans leur entreprise à la suite de l’entrée en vigueur, en 2022, des nouvelles mesures d’encadrement découlant des réformes axées sur les clients. Ces répondants pouvaient cerner autant de changements pertinents qu’ils le souhaitaient parmi la liste d’énoncés ou aucun d’entre eux.
En tout, 25% des répondants ont indiqué que la direction allait reporter selon un délai raisonnable le paiement d’une partie de la rémunération au conseiller afin de lui permettre de vérifier si son travail est conforme. De plus, 15,3% des sondés ont aussi noté que la direction allait réduire la proportion de la rémunération variable du conseiller par rapport à sa rémunération totale.
Plus du tiers des sondés (38,9%) entendent éviter que certains produits ne procurent une rémunération supérieure. Et 30,6% des répondants anticipent que leur courtier liera une partie de la rémunération variable des conseillers à leur conformité aux politiques et aux procédures internes.
«Tout converge vers un seul but: joindre la rémunération au mérite, sans nécessairement la joindre au volume. En ce moment, elle est strictement liée au volume», estime un autre répondant.
Il reste maintenant à savoir comment ces mesures seront arrimées aux politiques internes des courtiers et comment les conseillers réagiront à ces changements.
- GUILLAUME POULIN-GOYER




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