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La responsabilité sociale, une notion en progrès
 ÉCONOMIE ET
SEPTEMBRE 2020 | PAGE 11
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    Dans bien des États,
il devient clair que les droits des actionnaires ne sont pas prééminents.
PAR JEAN-FRANÇOIS BARBE
depuis une dizaine
d’années, les tribunaux tendent à affirmer la légitimité des inté- rêts à long terme de l’entreprise et de ses parties prenantes aux dépens des objectifs de maximi- sation des bénéfices à court terme. Certains tribunaux ont même appuyé une notion por- teuse de grands changements selon laquelle les entreprises ont des obligations morales.
Le dernier livre du professeur de droit Ivan Tchotourian, Entreprises et responsabilité sociale : la gouvernance en question (Presses de l’Université Laval, 2019), contient quelques surprises pour ceux qui croient toujours en la prépondérance, en tout temps et en tous lieux, des intérêts privés des actionnaires.
On y constate qu’au Québec et au Canada, les administrateurs sont fortement incités à prendre en compte les intérêts des par- ties prenantes lors de leurs prises de décision.
La tendance à l’affirmation de la responsabilité sociale de l’en- treprise coïncide d’ailleurs avec
la montée des produits d’inves- tissement dit responsables.
Recherchés par un nombre grandissant d’investisseurs ins- titutionnels et de consomma- teurs, ces produits disent incar-
jurisprudence et des décisions des organismes de réglementation en matière de régulation des entre- prises au Québec et dans le reste du Canada, aux États-Unis, dans l’Union européenne (principale-
cutables, des rémunérations abu- sives de hauts dirigeants, des actionnaires qui ne s’engagent pas à moyen ou long terme, etc.» dit Ivan Tchotourian.
CHANGEMENTS LIMITÉS
Au Canada, le droit et la jurispru- dence ont ouvert quelques portes vers la responsabilité sociale de l’entreprise. Toutefois, jusqu’ici, les changements concrets ont été limités.
Ainsi, la composition des CA des entreprises canadiennes n’est pas encadrée juridiquement de façon à intégrer automatiquement d’autres intérêts que ceux des actionnaires.
Par exemple, contrairement à l’Allemagne, aux Pays-Bas et à la Norvège, il n’existe pas chez nous de quotas (et a fortiori, de sanc- tions) à l’égard de la représentation des femmes dans les CA et dans les postes de haute direction. Autre exemple: les CA du Québec et du Canada ne sont pas tenus de voter sur des questions de rémunération des dirigeants. Et contrairement à 16 pays d’Europe, les CA d’ici ne réservent aucun fauteuil aux salariés.
La thématique du devoir de vigi- lance des entreprises est égale- ment très significative. En 2013, la Cour suprême de l’Ontario signa- lait que les sociétés mères (dans ce cas-ci, une société minière) ont un devoir de vigilance à l’égard des populations touchées par des activités de leurs filiales à l’étran- ger. Voilà un premier pas promet- teur, souligne Ivan Tchotourian, en précisant que les solutions
actuelles de responsabilisation des entreprises « sont complexes à mettre en œuvre et truffées d’obs- tacles de fond et procéduraux».
Le professeur Tchotourian constate ainsi qu’au Québec et au Canada, la percée juridique de la responsabilité sociale des entre- prises en est à ses débuts... mais que «les choses bougent».
«C’est une question de temps avant que la responsabilité sociale de l’entreprise exprime tout son potentiel», signale-t-il.
Évoquant la situation actuelle où cette responsabilité découle de la participation volontaire des entre- prises, Ivan Tchotourian dessine une perspective plausible d’un «droit de nature obligatoire».
Car l’appétit des investisseurs institutionnels et individuels pour les produits d’investissement res- ponsable pourrait accélérer cette évolution. «Il y a un besoin d’éclai- rer les décisions des investisseurs concernant leurs choix de produits d’investissement responsable. Certains ne sont pas aussi vertueux qu’ils le prétendent!» constate Ivan Tchotourian.
Les investisseurs sont-ils réelle- ment prêts à envisager autre chose que la performance pure? «L’espoir est permis », rétorque Ivan Tchotourian.
Ce dernier avait signé aupara- vant Gouvernance d’entreprise et fonds d’investissement : Réflexions juridiques sur un acti- visme d’un nouveau genre, dont Finance et Investissement a rendu compte en septembre 2018 (https://tinyurl.com/tm4ezrc). FI
C’est une question de temps avant que la responsabilité sociale de l’entreprise exprime tout son potentiel.
– Ivan Tchotourian
ment en France), en Angleterre, en Australie et en Inde.
Dans bien des États, il devient clair que les droits des actionnaires ne sont pas préé- minents. La Cour suprême du
   La reprise économique connaîtra encore des embûches, prédit le gouverneur.
PAR SIHAM LEBIAD
nommé à la tête de la
Banque du Canada en pleine pandémie doublée d’une réces- sion économique, Tiff Macklem assure que l’objectif premier de la politique monétaire reste le contrôle de l’inflation.
Lors d’une allocution pronon- cée sur l’initiative du Cercle canadien de Montréal à la fin du mois de juin, le gouverneur entré en poste le 3 juin, en remplacement de Stephen Poloz, a avoué que sa plus grande inquiétude est d’éviter une chute persistante de l’infla-
tion en aidant les Canadiens à retourner au travail.
« Le message que je veux vous laisser est que, alors que nous uti- lisons différents outils en ces temps extraordinaires, notre politique reste ancrée dans le même cadre, a-t-il déclaré. Le contrôle de l’inflation est le phare qui guide nos actions alors que nous nous préparons à sortir l’économie de la crise.»
Dans cet objectif, le nouveau gouverneur ne semble pas pressé d’augmenter les taux d’intérêt, qui, selon lui, resteront bas pour une période considérable « afin de faciliter l’accès au crédit pour les ménages et pour les entre- prises ». Cependant, il est très peu probable que les taux dimi- nuent davantage, Tiff Macklem n’étant pas très favorable à des taux négatifs. Le taux de 0,25 % actuel devrait donc rester en vi- gueur tout au long de la reprise.
Cela a d’ailleurs été le cas le 15 juillet lorsque l’institution a fait une mise à jour de ses prévi- sions, indiquant alors s’attendre à ce que l’économie canadienne se contracte de 7,8 % cette année.
UNE REPRISE LONGUE ET ARDUE
Tiff Macklem a insisté sur les difficultés auxquelles fera face la reprise économique au Canada. Il soutient que les dommages économiques causés par la pandémie donneront lieu à une reprise prolongée et non sans entraves.
« Nous prévoyons que le rebond rapide de la phase de réouverture de l’économie céde- ra la place à une phase de récupé- ration plus progressive, avec une demande faible, a déclaré le gou- verneur. Si, comme nous nous y attendons, l’offre se rétablit plus rapidement que la demande, cela
pourrait entraîner un grand écart entre les deux, ce qui exer- cera une forte pression à la baisse sur l’inflation.»
Il soutient que le déconfine- ment redonne un souffle à l’offre, mais que le maintien de la distanciation physique empêche les entreprises de revenir à une productivité optimale.
L’économie va subir un les effets persisteront après le déconfinement
«La réouverture de l’économie se fait à différents rythmes, selon la région ou le pays, a-t-il noté. Cette situation bouleverse les chaînes d’approvisionnement et affecte le volume et le prix des
exportations. De façon plus géné- ralisée, certains secteurs ne rou- vriront que s’il existe un vaccin ou un remède au coronavirus. Dans ces conditions, l’économie va subir un choc dont les effets persisteront même après le déconfinement. »
ner des valeurs en hausse comme la bonne gouvernance (y compris la représentation des femmes dans la direction), le respect de l’environnement et la promotion des droits de la per- sonne. Cela va jusqu’à la prise en compte des activités de l’en- treprise et de ses sous-traitants et fournisseurs dans des pays étrangers. Pour bon nombre, les produits d’investissement res- ponsable incarnent l’idéal d’une croissance durable.
« La responsabilité sociale de l’entreprise et les produits d’in- vestissement responsable ne sont pas des effets de mode », constate Ivan Tchotourian, pro- fesseur de droit à l’Université Laval.
L’EFFET DE LA CRISE DE 2008
Dans son dernier livre, Ivan Tchotourian examine notamment l’évolution des législations, de la
Canada l’a signalé dans une déci- sion de 2004 en affirmant que l’in- térêt supérieur de l’entreprise n’équivaut pas à celui des seuls actionnaires. Il revient aux membres des conseils d’adminis- tration (CA) de définir la voie de l’intérêt supérieur de l’entreprise, a alors conclu la Cour suprême.
En revanche, les États-Unis restent fondamentalement cam- pés sur une décision de 1919 de la Cour suprême du Michigan, selon laquelle l’entreprise est organisée et exploitée pour le bénéfice primordial des actionnaires.
Selon Ivan Tchotourian, le mou- vement en faveur de la responsa- bilité sociale de l’entreprise doit une bonne partie de son énergie aux impacts de la crise de 2008.
«Il est devenu clair que certains comportements ont mis de grandes entreprises en danger, que ce soit par des versements exagérés de dividendes, des pra- tiques comptables hautement dis-
   La clé, c’est le contrôle de l’inflation
 Selon le gouverneur, l’incerti- tude des consommateurs résulte, en partie, de la perte de revenus des indi- vidus à la suite d’une perte d’em- ploi ou d’une baisse des heures travaillées. Tiff Macklem pense d’ailleurs que certains emplois ne reviendront jamais et que cette incertitude causera une baisse de la demande, ce qui se traduira en un ralentissement de la reprise économique. FI
 choc dont même
 – Tiff Macklem




































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