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  6 | FINANCEETINVESTISSEMENT NOUVELLES Janvier2020 Le fisc frappe encore les AG
   Revenu Québec risque d’acculer les agents généraux à la faillite.
PAR GUILLAUME POULIN-GOYER
revenu québec s’attaque à
nouveau aux agents généraux (AG) dans le litige concernant l’ap- plication de la Loi sur la taxe d’accise. Au cours des derniers mois, l’autorité fiscale québécoise, qui administre cette loi au Québec, a effectué une série de vé- rifications fiscales chez les agents généraux. Au moins un agent gé- néral a même reçu un projet de cotisation et d’autres prévoient en recevoir prochainement.
«J’ai reçu mon projet de cotisa- tion. On parle de millions », confirme Yan Charbonneau, président-directeur général d’AFL Groupe financier, en entrevue avec Finance et Investissement.
«Si rien ne se passe, ce genre de facture fiscale va tuer plusieurs agents généraux», ajoute celui qui est aussi vice-président et trésorier de l’Association canadienne des agences indépendantes de courtage d’assurance vie (CAILBA).
Tel que Finance et Investissement l’indiquait dans son numéro de décembre dernier, l’épreuve de force est de nouveau engagée entre les agents généraux et les assureurs et les autorités fiscales concernant l’application de la loi qui encadre les taxes à la consom- mation. Dans ce dossier, les pre- miers s’opposent à l’interpréta- tion de leur revenu d’assurance par le fisc.
Réglementation
> SUITE DE LA UNE
financier à un plein statut professionnel.
À la question suivante : « Quelle tendance réglementaire touchant le conseil financier risque d’avoir le plus grand impact sur le travail des conseillers dans les 10 pro- chaines années ? », les répondants ont mis l’accent sur trois éléments parmi les choix de réponse, qui ont tous à voir avec la transpa- rence : transparence accrue en matière de rémunération ; trans- parence accrue en matière de frais des produits ; transparence accrue en matière de rendement et de performance des produits financiers. C’est seulement au quatrième rang qu’est signalé un autre développement : la dérégle- mentation et la diminution du fardeau réglementaire.
FARDEAU AMBIGU
Cette importance accordée au thème de la transparence n’im- plique cependant pas que les gens s’en trouvent heureux. Certes, certains répondants en soulignent des aspects positifs : « Parce que cela oblige le conseil- ler à mettre à jour sa valeur ajou- tée, dit l’un d’eux, et à offrir un service supérieur au client, pour que celui-ci ait vraiment l’im- pression d’en avoir pour son
D’après le fisc, le service d’inter- médiaires entre les clients et les assureurs serait taxable, ce qui fe- rait que les agents généraux de- vraient percevoir la taxe sur les produits et services (TPS) et la taxe de vente du Québec (TVQ).
L’industrie de l’assurance conteste ce point de vue. Entre autres, les agents généraux sont parties prenantes du processus de vente des polices d’assurance. «On ne fait pas juste fournir un service de traitement de propositions. Souvent, on rencontre le client, on lui donne des conseils. On a des employés dans nos agences qui ont des permis pour exercer», explique Yan Charbonneau.
Les agents généraux conseillent également les représentants afin de traiter des dossiers nécessitant une expertise en fiscalité ou en connaissance des produits. Yan Charbonneau donne l’exemple d’un conseiller qui veut faire sous- crire une police à un client atteint du diabète de type 1 : « Même s’il offre un produit simple, il y a des assureurs qui vont l’assurer et d’autres qui ne le feront pas. Cer- tains vont surprimer, d’autres non. Chaque assureur tarifie ses dossiers de manière différente, ce qui demande une expertise. »
NÉGOCIATIONS EN COURS
Malgré les négociations qui ont eu lieu entre les parties au cours des dernières années, Revenu Québec est revenu à la charge.
« En 2016-2017, on a rencontré Revenu Québec et on lui a deman- dé de suspendre les audits et les avis de cotisation, le temps qu’on discute avec l’Agence du revenu du Canada, indique Lyne
argent. Un conseiller ne pourra plus simplement s’asseoir sur le revenu de sa clientèle, il devra maintenant justifier pourquoi un client le paie. »
Par contre, autant de répon- dants manifestent leur mécon- tentement. Par exemple, l’un commente : « Est-ce que le res- taurateur explique à chaque client la raison du prix demandé en lui expliquant ses postes de dépenses et son ratio de rentabi- lité ? » Un autre souligne un pro- blème très réel de la surabon- dance d’information, que confirme une récente recherche américaine : « Trop d’information publiée nuit à la compréhension du client et à son intérêt. »
Dans l’apparente surenchère de transparence, un répondant fait ressortir un problème décou- lant de l’encadrement réglemen- taire fragmenté dans l’industrie financière: les nouvelles obliga- tions « ne s’appliquent pas de la même façon aux banques », dit-il.
VERS UN STATUT PROFESSIONNEL
Les observateurs auxquels Finance et Investissement a parlé confirment tous l’importance de la tendance réglementaire vers une transparence accrue. Or, certains mettent l’accent sur un mouvement plus profond qui porte tous les autres. C’est le cas de Sylvain Perreault, chef de la conformité au Mouvement
Duhaime, vice-présidente principale de la distribution de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et présidente d’ACCAP-Québec. On a été en dis- cussion avec eux depuis deux ans. Ilyavaitundossierdevantlestribu- naux, qui portait sur le même sujet. On espérait qu’il y ait un jugement plus rapidement. Puis, récemment, Revenu Québec a commencé à réactiver ses dossiers au Québec.»
Au moment de mettre sous presse, des négociations avaient lieu entre l’ACCAP, CAILBA, ainsi que les autorités fiscales du Québec et du Canada. Les parties étaient ouvertes dans leurs échanges, selon Yan Charbonneau.
« Chaque partie maintient ses positions pour le moment. Ce sont de longues discussions où nous sommes accompagnés par des comptables experts », dit Lyne Duhaime.
Les différents lobbys entendent s’opposer en utilisant tous les ou- tils à leur disposition, tant sur le plan de l’administration fiscale que des procédures judiciaires ou politiques. Lyne Duhaime préfère ne pas commenter le dossier pour éviter de nuire aux négociations et aux procédures judiciaires.
Si les agents généraux devaient se plier prospectivement aux exi- gences de Revenu Québec, ce serait gérable,expliqueYanCharbonneau. Le coût fiscal additionnel serait probablement partagé entre les assureurs, les agents généraux et les conseillers. La facture à terme serait refilée au client, note-t-il.
« En reculant sur une période de quatre ans, [les autorités fiscales réclament] un montant astrono-
Desjardins, qui juge « qu’on chemine vers un statut nette- ment professionnel pour les conseillers ».
Cette émergence d’un statut professionnel est un prérequis absolu, juge Harold Geller, asso- cié chez MBC Law, à Ottawa. « Les conseillers sont des profes- sionnels plus importants pour les consommateurs que ne le sont les avocats ou les comptables, dit-il. Pourquoi les exigences à leur endroit seraient-elles infé- rieures à celles qu’on impose aux autres professionnels ? »
Le cheminement vers un statut professionnel complet sert à mettre en perspective le fardeau réglementaire que beaucoup jugent excessif. « J’entends ça de- puis le tout début dans les ser- vices financiers, et je ne vois pas à court terme une diminution de la paperasse », tempère Yvan Morin, chef de la conformité chez MICA Cabinets de services financiers.
Pour Sylvain Perreault, tel est le prix à payer pour une plus grande professionnalisation. « Est-ce plus lourd ? demande-t-il. Oui, mais ça vient avec les privi- lèges accrus dont vous bénéfi- ciez. Quand un médecin me prescrit une pilule, je veux m’as- surer qu’une foule de contrôles ont été effectués pour veiller à ce qu’elle ne me tue pas. »
Par contre, il y aura un mouve- ment compensatoire à l’accumu- lation de règles, prévoit le spécia-
mique, souvent l’équivalent d’au moins une année de profit d’un agent général qui est bien structuré et capitalisé. Ça peut être catastrophique », lance Yan Charbonneau.
Si Revenu Québec reste campé sursapositionetdistribuedesavis de cotisation en série, bon nombre les contesteront. Toutefois, la dette
«On a parlé à nos confrères agents généraux du reste du Canada. CAILBA et l’ACCAP s’en sont mêlés. On avait engagé un spécialiste de PwC pour nous dé- fendre dans ce dossier. Finalement, ils [le fisc] ont laissé tomber leur avisdecotisation»,raconte-t-il.
Le différend actuel connaîtra-t-il le même dénouement ? Difficile à dire. Or, une dé- faite des agents gé- néraux boulever-
  Si rien ne se passe, ce genre de facture fiscale va tuer plusieurs agents généraux.
 continue de porter intérêt jusqu’à son paiement final ou son annulation.
«Dans mon cas, il faut que je paie au moins les intérêts sur la facture totale qui est substantielle, dit Yan Charbonneau. Ça ne m’en- verra pas en faillite, mais c’est un gros coût qu’on aurait et que nos concurrents ontariens n’ont pas à supporter, car l’Agence du revenu du Canada n’opère pas comme Revenu Québec. On est très défa- vorisé au Québec. »
Devant cette menace pour leur survie, les agents généraux risquent aussi de se tourner vers les assureurs afin de leur refiler la note ou, à tout le moins, de la par- tager avec eux.
ABSURDITÉ FISCALE ?
MICA Cabinets de services financiers a été le premier agent général au Québec à recevoir un avis de cotisation dans ce dossier en 2016, d’après son président, Gino-Sébastian Savard.
liste de Desjardins, mouvement auquel une part des répondants au sondage assignent une priori- té de rang 4. Le fardeau des règles va s’amenuiser, mais pas néces- sairement le poids législatif, selon Sylvain Perreault : « On va appliquer des règles davantage par principe que de façon pres- criptive », prévoit-il.
Ce sera en même temps l’occa- sion de procéder à un nettoyage réglementaire. Sylvain Perreault donne l’exemple d’une règle qui perdure et selon laquelle un cabi- net doit maintenir en tout temps la présence de deux conseillers sur place : « Ça date d’une époque où il n’y avait pas de cellulaires, de textos et de courriels qui per- mettent maintenant de joindre les gens à peu près n’importe où en tout temps. »
LES INDÉPENDANTS À RISQUE
La concurrence des banques et institutions financières ainsi que leur poids dans le marché pointent vers une transforma- tion inéluctable de l’industrie, selon deux interlocuteurs. « On s’en va vers une élimination des petits entrepreneurs et des cabi- nets indépendants, prévoit Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage. On était 150 indépendants il y a 20 ans. Il n’en reste plus que 20. »
C’est une tendance majeure que décèle aussi Sylvain
serait l’industrie. «Ça me donne toujours des fris- sons quand ils re- viennent avec ce dossier, parce que [leur position] n’a pas de bon sens. Il faudrait que les assureurs changent complètement la façon de nous payer», dit Gino-Sébastian
Savard.
Selon lui, les autorités fiscales et
les ministères des Finances du Québec et du Canada semblent souffrir du syndrome de la main gauche qui ne parle pas à la main droite. «D’un côté, on est considéré comme des institutions finan- cières et on paie des taxes en conséquence. D’un autre, il y en a qui disent qu’on ne procure pas de services financiers et [qu’]on donne du service administratif taxable. On dirait qu’ils ne se com- prennent pas eux-mêmes », indique le président de MICA.
Il considère que ce risque fiscal menace la survie des agents géné- raux et appelle donc les gouverne- ments à collaborer avec l’industrie afin d’instaurer des règles claires et prévisibles pour celle-ci. « Ne brisez pas ce qui fonctionne », lance-t-il. FI
Perreault, d’autant plus que les portes d’accès à l’industrie se fer- ment de plus en plus et que des barrières au succès s’érigent de façon accrue, selon lui. « J’ai dé- marré une firme de courtage en 2001, le Groupe Jitney. Au- jourd’hui, en 2020, je ne suis pas certain que je le ferais... ou que je pourrais le faire. »
Ce risque d’extinction des in- dépendants est une consé- quence de plusieurs facteurs, font ressortir nos commenta- teurs. Parmi ceux-ci, notons le décloisonnement des institu- tions financières démarré dans les années 1990, le fait que la dis- tribution de produits bancaires bénéficie d’un cadre réglemen- taire et d’exigences de divulga- tion différents de ceux des va- leurs mobilières, et le fardeau ré- glementaire qui accroît les coûts des petits acteurs et fragilise leurs finances.
« Le fardeau des règles est de plus en plus lourd à soutenir pour les petits acteurs, affirme Guy Duhaime. Une grande so- ciété dispose d’un contentieux de dizaines d’avocats ; un petit cabinet doit engager l’expertise à la pièce. Si une lumière ne s’allume pas dans l’industrie, il ne restera plus de petits acteurs. On s’en va vers un corporatisme effréné des grandes sociétés. Et on sait que les oligopoles ne sont pas bons pour les consommateurs. » FI
– Yan Charbonneau
   






































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