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2 | FINANCEETINVESTISSEMENT NOUVELLES Janvier2020 Les honoraires nuiraient-ils à la valeur des books ?
Certains représentants le croient, mais le contraire est aussi vrai.
PAR JEAN-FRANÇOIS BARBE
certains représentants en
épargne collective redoutent la pratique à honoraires en esti- mant qu’elle pourrait nuire à la valeur de leurs blocs d’affaires.
Cette appréhension est ressor- tie du sondage que Finance et Investissement a effectué dans le cadre du Top des cabinets multi- disciplinaires de 2019. « Ça de- vient inquiétant, car ma pratique n’aura plus la même valeur », mentionnait un conseiller dans ses commentaires.
Il y a quelques années à peine, les commissions à la vente, comme les frais d’acquisition re- portés, faisaient la pluie et le beau temps. Aujourd’hui, les comptes à honoraires, qui consistent à fac- turer au client un pourcentage de son actif sous administration, prennent de l’ampleur.
Selon les experts qu’a rejoints Finance et Investissement, ce passage aux honoraires pourrait diminuer la valeur des blocs d’af- faires. À certaines conditions...
VENDRE À JUSTE PRIX
Pierre Vincent porte le titre de vice-président principal,
Épargne
> SUITE DE LA UNE
alors que les seconds sont géné- ralement dans une structure de comptes nominés (nominee ac- counts), aussi désignés comme des comptes autogérés, des comptes de propriétaire appa- rent ou des comptes prête-nom.
Dans la première structure, les titres de fonds communs sont en- registrés au nom du client chez le manufacturier, non chez le cour- tier ; dans la seconde, l’enregistre- ment légal des fonds réside chez le courtier. En pratique, explique Jean Morissette, consultant pour l’industrie de la gestion de patri- moine, une structure nominée « permet de faire une même tran- saction à travers de nombreux comptes ; une structure au nom des clients oblige à la reproduire client par client». Là où prévaut la structure au nom du client, celle-ci rend beaucoup plus ardu le transfert à des comptes à hono- raires, puisqu’il faut effectuer le passage un client à la fois.
Autre avantage pratique, la structure nominée sert de sou- tien à la gestion discrétionnaire de portefeuille, indique le consultant: «Le gestionnaire peut effectuer la même transac- tion dans tous les comptes des clients où c’est pertinent et il peut le faire de façon autonome, sans demander la permission spéci- fique de chaque client. »
Les comptes au nom du client demeurent, chez les représentants en épargne collective, «le principal obstacle à l’adoption du modèle de rémunération à honoraires, pour-
Distribution et développement de produits d’assurance individuelle chez iA Groupe financier. Selon lui, la crainte d’une perte de valeur des blocs d’affaires se concrétisera si les conseillers négligent de vendre leurs services «à juste prix».
Car tel est le piège qui se tend sur le chemin de conseillers prompts à offrir leurs services à bas prix: leurs blocs d’affaires en subiront fatale- ment les conséquences. « Si des conseillers vendent leurs services au rabais, la valeur de leurs blocs d’affaires en sera inévitablement touchée», constate Pierre Vincent.
La possibilité que les conseillers sous-estiment la valeur de leurs services est une réalité vécue par les cabinets multidisciplinaires. Ils ont réagi en établissant des prix planchers.
«Il y a danger que les honoraires soient trop faibles et, par le fait même, insoutenables à long terme. C’est pourquoi nous avons établi une grille d’honoraires minimaux. Nous avons également une grille d’honoraires suggérés », signale Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.
Le patron de MICA ajoute vou- loir également éviter des tarifs dé- mesurés. « Des honoraires de 2 % attireraient l’attention de nos ser- vices de conformité. À l’inverse, il n’est pas question d’accepter les yeux fermés des honoraires de 0,40%», ajoute-t-il en précisant que
tant populaire du côté des cour- tiers de plein exercice », selon l’étude d’Investor Economics.
UN CERTAIN SCEPTICISME
« Cette proposition d’Investor Economics me semble un peu courte », affirme Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collec- tive chez Mérici Services Financiers, ce qui reflète la réac- tion des trois spécialistes que Finance et Investissement a consultés sur le sujet. « Elle constitue une facette de la ques- tion, mais elle n’explique pas tout », complète Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.
Selon ces derniers, si la rémuné- ration à honoraires ne trouve pas plus rapidement preneur auprès des conseillers en épargne collective, c’est tout simplement parce qu’elle ne présente pas pour nombre d’entre eux un avantage particulier.
«Chez nous, nous avons les deux structures, nom-client et nominée, et les conseillers qui sont en struc- ture nominée sont loin d’être tous à honoraires, affirme Gino-Sébastian Savard. Moi le premier, à peu près tous mes clients sont en structure nominée, mais aucun n’est dans un compte à honoraires.»
«Que mon client dispose de fonds avecfraisd’entréeetcommissionde suivi de 1%, ou à honoraires de 1%, quelle est la différence? demande Maxime Gauthier. Au bout du compte, la seule question qu’on de- vrait poser est: combien le conseil a-t-il coûté au client?»
PLEIN EXERCICE ET HONORAIRES
Selon ce dernier, trois enjeux se sont combinés pour propulser
les grilles d’honoraires reposent sur la taille de l’actif sous administration.
Même son de cloche chez Mérici Services Financiers. «On a fait un travail d’analyse à l’interne afin d’éviter les honoraires trop bas, qui risqueraient d’être insoutenables», explique Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective pour ce courtier.
UNE VALEUR PLUS GRANDE
D’après Pierre Vincent, la valeur des blocs d’affaires des conseillers à honoraires bénéficiera de ce mode de rémunération tant que les conseillers agiront dans les règles de l’art. «Si les services ren- dus sont de qualité et si les clients sont conscients de la valeur de ces services, les honoraires auront alors la même importance que les commissions de vente dans les re- venus des conseillers. De plus, ces clients à honoraires servis dans les règles de l’art seront plus fidèles. Un taux de rétention élevé aug- mentera la valeur des blocs d’af- faires», avance-t-il.
Maxime Gauthier renchérit: «À la limite, un bloc d’affaires basé sur des honoraires pourrait avoir une valeur supérieure à celle d’un bloc s’appuyant sur des commis- sions de vente. Les clients étant informés de la rémunération du conseiller, cela évacuerait un élé- ment de risque de l’équation. »
l’adoption des comptes à hono- raires dans les réseaux de cour- tage de plein exercice : la crois- sance des fonds négociés en Bourse (FNB), la guerre des frais liés aux FNB, et une plateforme technologique permettant l’ac- cès aux FNB déjà en place.
N’oublions pas que les cour- tiers de plein exercice facturaient principalement à la transaction, il y a quelques décennies, rap- pellent nos trois intervenants. Ils ont profité de la montée des FNB pour rehausser leur offre en l’axant davantage sur le service et le conseil par le recours à une ré- munération à honoraires.
Certains ont même profité des bas frais rattachés aux FNB pour augmenter leurs émolu- ments. « J’ai en main des grilles
Peu importe le type de rémuné- ration, poursuit Maxime Gauthier, le client doit avoir la conviction qu’il paie son conseiller d’une façon qui est juste : « Et le conseil- ler doit toujours se demander s’il donne des services d’une façon raisonnable. »
LA RELATION CHANGE
Le passage aux honoraires mo- difie la relation entre les clients et les conseillers. Les clients ont da- vantage de pouvoir.
«Il y a 20 ans, tout était standar- disé. Les frais étaient figés dans le béton. Aujourd’hui, tout est négo- ciable. En raison de la rémunéra- tion à honoraires, les clients peuvent percevoir qu’ils ont la pos- sibilité de quitter leur conseiller quand ils le veulent », constate Marc Dubuc, représentant en épargne collective chez Services en placements Peak.
« Sachant qu’ils peuvent quitter plus facilement leur conseiller, les clients ont un plus grand pouvoir de négociation. La relation change. Des conseillers peuvent ressentir cette pression et penser qu’elle diminuera la valeur de leurs blocs. Toutefois, s’ils offrent un haut niveau de service, ils peuvent aussi augmenter leur taux de rétention de clientèles... ce qui rehaussera la valeur de leurs blocs ! » affirme celui qui a déjà été directeur principal, stra- tégie marketing et gestion de
FNB BOUDÉS
L’adoption des FNB n’a cer- tainement pas soulevé autant d’enthousiasme chez les repré- sentants en épargne collective. Tout d’abord, une plateforme technologique permettant de négocier des FNB ne leur était pas accessible jusqu’à récem- ment, alors qu’elle ne présen- tait aucun obstacle dès le départ du côté du plein exer- cice, ajoute Maxime Gauthier. Donnant accès aux FNB des manufacturiers de fonds com- muns, et permettant de les né- gocier uniquement comme des fonds communs, c’est-à-dire à la fin du jour, Fundserv offre ce genre d’outil depuis seulement deux ans. B2B Banque, qui ouvre les portes de tout l’univers
l’offre du manufacturier de fonds Fiducie Desjardins.
LES VÉTÉRANS POURRAIENT ÉCOPER
Daniel Guillemette, président-fondateur du cabinet Diversico, Experts-conseils, est un acheteur expérimenté de blocs d’affaires. Selon cet entrepreneur, les conseillers qui approchent de la retraite seraient les plus vulné- rables face à l’irrésistible poussée de la rémunération à honoraires.
«Un certain nombre de vétérans n’ont pas encore eu de conversa- tions sérieuses avec leurs clients concernant leur rémunération, dit-il. Au cours de leurs carrières, les commissions à la vente allaient de soi et ils se sont concentrés sur les rendements et les autres aspects plus visibles de la relation d’af- faires. La conversation sur les ho- noraires ne sera pas facile. Et il est possible que leurs clients aient alors un mouvement de recul!»
Le dirigeant de Diversico es- time que la rétention de ces clien- tèles pourrait alors être probléma- tique, « à moins que les relations entre ces clients et leurs conseil- lers soient fortes».
Étant donné que les conseillers en début de carrière sont davan- tage portés vers la rémunération à honoraires, ils pourraient, ajoute Daniel Guillemette, être « plus méfiants»àl’égarddelavaleurdes blocs d’affaires de ces vétérans. FI
Bref, si le passage aux hono- raires tarde du côté des réseaux d’épargne collective, ce n’est pas à cause d’obstacles comme l’absence de structures de comptes nominés ou l’absence de plateformes technologiques de transaction. C’est parce que le statu quo semble faire l’affaire.
« La résistance aux honoraires ne vient pas nécessairement des représentants et des courtiers », juge Jean Morissette. Elle tient à la masse d’actifs déjà en place (sur un modèle de rémunération à commission) et au modèle d’affaires qui sous-tend ces ac- tifs. Le consultant voit très bien le passage aux honoraires s’ef- fectuer, perspective que par- tagent Maxime Gauthier et Gino-Sébastian Savard, mais le changement se fera surtout au gré de nouveaux comptes qu’on ouvrira et qu’on établira sans doute sur la base d’honoraires.
Un autre impératif jouera en faveur du passage aux hono- raires, selon Jean Morissette : « La façon de gérer un porte- feuille aujourd’hui ne se limite plus seulement aux actions et obligations, comme on le voit dans les grands fonds de pen- sion. Il faut maintenant ajouter les fonds privés, les fonds alter- natifs, les actifs réels.» Cela exige une flexibilité qui est restreinte par le modèle des fonds communs à base de commissions de suivi. « C’est pourquoi on voit de plus en plus de représentants en épargne collective entreprendre de passer au plein exercice », ajoute-t-il. La transition vers les honoraires accompagnera sans doute ce mouvement. FI
Si mes conseillers ne me demandent pas un inventaire de FNB parce que les clients n’en veulent pas, je ne vais pas en offrir.
– Maxime Gauthier
des FNB, est dis- ponible depuis seulement un an environ, selon nos sources.
Ces plate- formes sou- lèvent la ques- tion de la pré- séance de la poule ou de l’œuf. S’il n’y a pas de demande
d’honoraires de concurrents en plein exercice, avance Maxime Gauthier. Dans certains comptes, ils facturent 1,15 % et même 1,25 %, alors qu’aupara- vant on pouvait difficilement aller au-dessus de 1 %. » C’est un geste de bonne guerre, admet Jean Morissette, jugeant que « l’important, c’est que les clients se sont retrouvés avec des frais [globaux qui incluent le conseil et la gestion des avoirs] plusbas».
de FNB, est-ce parce qu’aucune plateforme n’y donne accès ? ; ou l’absence de plateforme tient-elle à une demande inexistante en FNB ? Le deuxième cas prévaut, affirme Maxime Gauthier. « Si mes conseillers ne me demandent pas un inventaire de FNB parce que les clients n’en veulent pas, dit-il, je ne vais pas en offrir», impliquant qu’il ne fera pas de zèle non plus pour trouver une plateforme de transaction.